La dignité en marche… (regards.fr)

Samedi 31 octobre aura lieu à Paris la Marche pour la dignité et contre le racisme. Pour commémorer les dix ans des révoltes dans les banlieues et passer à l’offensive contre une République qui doit être refondée.

Le spectre de la récupération plane, mais il ne les empêchera pas de marcher. Plus de trente ans après le traumatisme d’une Marche pour l’égalité méthodiquement vidée de sa force politique à coup de concerts festifs et de pin’s « Touche pas à mon pote », les « Racisé-e-s » marcheront pour la dignité le 31 octobre de Barbès à Bastille. Soutenu par Angela Davis, l’appel a été lancé en mai 2015 par Amal Bentounsi, dont le frère a été tué par la police.

 

Une nouvelle marche donc, dix ans exactement après les révoltes des banlieues, pour dénoncer l’islamophobie, la négrophobie et la rromophobie que subissent au quotidien les populations des quartiers populaires et issues de l’immigration postcoloniale.

Contre le « racisme d’État »

Derrière cette mobilisation qui se veut historique, le collectif Marche des femmes pour la dignité (Mafed), soit une soixantaine de militantes, intellectuelles et artistes aux trajectoires variées mais qui ont toutes en commun de « subir le racisme d’État ». On y trouve des militantes chevronnées comme Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop le Contrôle au Faciès et Houria Bouteldja, fondatrice du Parti des indigènes de la République (PIR), mais aussi des personnalités comme la chanteuse Bams, qui s’est politisée au moment de l’affaire Exhibit B, l’historienne réunionnaise Françoise Vergès, ancienne présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, l’étudiante en droit Anina Ciuci, auteur de Je suis tzigane et je le reste, la doctorante féministe et musulmane Hanane Karimi, ou encore Stella Magliani Belkacem, éditrice à La Fabrique et directrice de publication de la revue marxiste Période.

La dignité n’est pas un concept politique nouveau. Réapparu il y a quelques années dans les soulèvements du Printemps arabe, notamment en Tunisie où la jeunesse exigeait « Dignité, pain et Liberté », il est chargé de l’histoire coloniale. « En Algérie, le « nif » (« l’honneur ») était au cœur de la résistance du FLN », explique Louisa Yousfi, membre du collectif. La dignité c’est l’inverse de la « hogra », qui signifie en arabe « humiliation ». C’est quelque chose qui parle à tous les « racisé-e-s », c’est-à-dire à tous ceux qui subissent le racisme d’Etat ». Racisme d’État qui prend, selon eux, de multiples formes, du contrôle au faciès à l’interdiction du port du voile à l’école en passant par le démantèlement systématique des bidonvilles rroms, et qui trouve sa forme la plus accomplie dans les violences policières.

Les promesses non tenues de la République

On l’aura compris, l’antiracisme du Mafed et de ses soutiens est bien loin de celui de SOS Racisme, de la LDH, du MRAP et de la LICRA, qui ont lancé en septembre un appel national réaffirmant, dans la perspective des élections régionales, « l’urgence des principes républicains » contre « les candidats du racisme et de l’antisémitisme ». Un discours « éculé des années 1980 », qui « jamais ne parle d’islamophobie », et qui oublie que « les lois racistes n’ont pas besoin de l’extrême droite », souligne Houria Bouteldja, rappelant que « c’est une mairie communiste qui a démantelé le bidonville rrom à la Courneuve cet été ».

De même, le féminisme de ce collectif exclusivement féminin, qui s’inscrit dans l’héritage des « Mères de la place Vendôme », est aux antipodes de celui de Ni putes ni soumises. « On sait que les mecs de nos quartiers sont sexistes, mais leur sexisme n’est pas très différent du sexisme français en général, poursuit Houria Bouteldja. Or penser leur sexisme à travers le prisme de l’islam crée la guerre des sexes et empêche la solidarité dans les quartiers ».

Pour ces « Français de seconde zone », il ne s’agit plus de « quémander » une intégration républicaine qui leur est de toute façon refusée. « La République n’a pas tenu ses promesses, elle ne veut pas de nous, alors maintenant c’est nous qui ne voulons plus d’elle , résume Louisa Yousfi.

« Déclaration d’indépendance »

Les divers intervenants l’ont affirmé haut et fort lors du meeting de lancement le 9 octobre dernier : les hommes et les femmes qui marcheront ne « réclament » pas la dignité. Celle-ci est déjà en eux : « C’est parce que nous sommes dignes que nous marchons », a martelé la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, qualifiant la marche de « déclaration d’indépendance ». « On veut poser nos culs où on veut, comme Rosa Parks ! », a lancé Sihame Assbague, citant le rappeur Booba : « Ce sont ceux en face qui ont perdu leur dignité, et le 31 on va les aider à la retrouver », a renchéri Omar Slaouti du collectif Ali Ziri, visant ceux « qui n’ont que « République » à la bouche mais qui pensent en fait Empire, la main sur la matraque ». Pas question pour cet ancien du NPA de s’excuser pour les « violences » urbaines, les flammes mettant « la lumière là où personne ne veut regarder ».

Le ton du meeting pouvait être d’autant plus offensif que plusieurs intervenants ont pris soin d’explicitement condamner les positions de Soral et de Dieudonné, « qui ne s’intéressent qu’à leur gueule et qui en ont rien à foutre des habitants des quartiers populaires », a résumé Omar Slaouti, suscitant les applaudissements de la salle. « Ils ne sont pas antisionistes, ils sont d’extrême droite ! », a ajouté Youssef Boussoumah, du PIR, contrant préventivement les accusations de proximité idéologique auxquels les Indigènes font régulièrement face.

Reste que les craintes de récupération ont autant pour objet l’extrême droite soralienne que l’ensemble de la classe politique. C’est pourquoi le Mafed a clairement hiérarchisé les niveaux de signataires : défileront en tête du cortège, derrière la banderole « Dignité, Justice, Réparations », les familles des victimes policières ainsi que les représentants de l’immigration et des quartiers populaires qui subissent les discriminations. Et resteront en queue de cortège les organisations du mouvement ouvrier et les partis de gauche comme Ensemble, les Jeunes communistes ou le NPA. Ces derniers n’auront pas leur mot à dire quant aux revendications officielles de la Marche, même si bon nombre de militants « racisé-e-s » rêveraient que leurs combats soient davantage inscrits sur l’agenda politique des partis de gauche.

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