«L’affirmation de notre dignité signifie que nous restons debout» (video)

Houria Bouteldja est membre du comité de femmes Mafed, organisateur de la marche pour la dignité du 31 octobre à Paris,dans le quartier de Barbès, à 14h. Elle est également militante du Parti des Indigènes de la République. Pour Zaman France, elle revient sur les enjeux et la filiation historique de cette Marche pour la Dignité qui sera le temps fort des commémorations des dix ans des révoltes urbaines de 2005.Houria Bouteldja

Pourquoi cette marche ?

Pour plusieurs raisons. Fin octobre nous allons commémorer les dix ans des révoltes de quartiers en 2005. Il est important pour nous que notre parole ne soit pas confisquée. Nous avons l’habitude que la classe politique ou des organisateurs qui ne sont pas sur le terrain s’accaparent la parole officielle. C’est un rendez-vous qu’on ne peut pas rater. Ces révoltes ont été un moment politique crucial qui ont déterminé beaucoup de choses et qui ont été le révélateur des grandes crises que traversent la société française (1,32). Il est fondamental pour nous d’imposer une parole qui soit légitime car émanant de milieux, d’associations, de collectifs qui agissent depuis très longtemps sur le terrain au moins depuis ces dix dernières années et parfois avant.

 

Qu’est-ce qui a changé depuis 2005 ?

Si j’étais pessimiste, je dirais «pas grand chose». La situation sociale de ce pays est catastrophique sur le plan national comme international. Il n’y a pas de quoi être optimiste réellement. Il faut prendre en compte le fait qu’il y a des générations de militants qui naissent, qui apparaissent, qui agissent. Il y a une conscience politique nouvelle qui a cette particularité qu’elle s’instruit du passé et qu’elle n’est pas aussi spontané que cela dans le sens où il existe une véritable culture militante, politique qui se transmet. Ce qui sera mis à l’honneur dans cette marche c’est la dénonciation des crimes et des violences policières (3,15) qui sont la pointe avancé du racisme d’Etat. Les émeutes de 2005 comme celles de Vaulx-en-Velin sont motivés à chaque fois par des violences policières.

La question de la dignité qui est au cœur de la marche ne déborde-t-elle pas largement la question sensible des crimes policiers ?

Elle ne la déborde pas mais l’incarne. Elle incarne le racisme structurel de l’Etat français. Nous allons également dénoncer la négrophobie, la romophobie et l’islamophobie qui sont aujourd’hui les principaux racismes d’Etat. Le racisme abime. Il crée du mépris pour soi-même. L’affirmation de notre dignité signifie que nous restons debout (4,47). Comme le disait la sociologue Nacira Guénif-Souilamas,la dignité est une chose qui s’affirme, malgré toutes ces humilitiations, cette hoggra, cette marginalisation et malgré toutes les offensives médiatiques dont nous sommes l’objet et qui nous attaque pour ce que nous sommes (Noirs, Arabes, Roms, musulmans).

Véhicules brûlés au moment des émeute urbaines de 2005, à Aulnay-sous-Bois.

Vous vous inscrivez dans les traces de la Marche pour l’égalité de 1983 ?

Evidemment car nous sommes des héritières. On ne vient pas du néant. La marche de 1983 a été un moment structurant car pour la première fois des jeunes issus de l’immigration post-coloniale affirmaient leur droit à être des citoyens comme les autres. Depuis 1983, on a passé un saut qualitatif en passant de l’égalité à la dignité. L’égalité signifiait demander à être des Français comme les autres. La dignité signifie affirmer notre humanité. C’est plus fort que simplement vouloir être citoyen comme les autres. (7,00)

La dignité est-elle première par rapport à la question de l’égalité ?

Je pense que la dignité est supérieure à l’égalité. L’égalité est une vraie revendication mais qui nous cantonne dans le territoire de l’Etat-nation. On demande l’égalité par rapport aux autres Français dit de souche. Sauf que notre territoire politique, ce n’est pas forcément l’Etat-nation (8,00). On peut voir par exemple que le statut de réfugiés n’est pas accordé à des tas de personnes qui sont des exilées et qui viennent en Europe car ils sont victimes de l’ordre impérialiste dont la France est partie prenante. La dignité déborde parce que l’Etat-nation n’est pas notre territoire politique et que nous sommes solidaires des peuples aujourdhui opprimés. Il y a aura des associations représentant les réfugiés à cette marche. C’est une marche politique au sens fort. On ne se contente pas de vouloir être des occidentaux comme les autres.

Le comité de la MAFED est composé exclusivement de femmes. Faut-il y voir un sens particulier ?

Oui. Il faut y voir deux sens. Les femmes sont celles qui subissent à la fois le racisme, l’oppression sociale et celle de genre. De ce fait, elles sont en première lignes des luttes ce qui n’est pas su de tous et est invisibilisé. Les femmes sont celles qui portent leurs familles lorsque les crimes policiers qui visent essentiellement les hommes se produisent. Qui est là pour soutenir la famille, faire les démarches, animer les collectifs ? Les sœurs, les mères et c’est complètement oublié. Nous voulions mettre à l’honneur nos mères et nos sœurs qui luttent depuis quarante ans ! Nous voulions dire le réel ! Les femmes sont au devant des luttes les plus dures (10,03). La seconde raison concerne le fait qu’elles sont l’objet d’instrumentalisation politique. On utilise les femmes contre les hommes des quartiers populaires qui seraient particulièrement sexistes et qui incarneraient un patriarcat particulièrement abominable.

Vous pensez à quoi en particulier ?

A l’offensive Ni Putes ni Soumises soutenue par le Parti Socialiste, le Parti Communiste et la droite, et qui ont été les faire-valoir de la politique de l’Etat. De ce point de vue, nous apparaissons comme un boomerang. Les institutions de l’Etat ont instrumentalisé des femmes non blanche contre leur communauté pour être les complices d’une politique répressive, raciste et islamophobe. Nous arrivons dix ans après pour dire : nous sommes l’antithèse de Ni Putes Ni Soumises (11,17). Là où il y avait une association qui soutenait le pouvoir, il y a aujourd’hui un collectif qui dénonce très clairement la politique du pouvoir.

Fadéla Amara est la co-fondatrice de l’association Ni Putes Ni Soumises.

Beaucoup de personnes ne croient plus en l’utilité ou l’efficacité des manifestations ou des rassemblements. Que leur répondez-vous ?

Je leur répond que nous ne sommes pas des magiciens et que nous faisons avec les moyens du bord. Ceux qui pensent qu’il existe d’autres moyens qu’ils nous disent qu’est-ce qu’il y a de mieux à faire, entre autres, qu’une manifestation de rue massive avec un discours politique maîtrisé, avec une véritable orientation et des revendications qui font converger un tas d’associations des quartiers, par ailleurs autonomes par rapport au champ politique français. Nous avons le soutien extérieur du NPA, d’EELV et d’Ensemble mais ils ne décident de rien. Nous organisons tout et nous seuls décidons des orientations politiques pour créer du rapport de force.

Angela Davis est la marraine de la Marche pour la Dignité.

La militante Angela Davis soutient votre marche…

Angela Davis est la marraine de notre Marche. C’est une personnalité internationale, une figure de la lutte antiraciste aux Etats-Unis. C’est un honneur incroyable qu’elle ait rejoint notre marche mais en même temps ce n’est pas un hasard. Les femmes et Amel Bentousi en particulier qui est celle qui a lancé la marche pour la dignité, qui en est la porte-parole et qui est la sœur d’une victime de crime policier a été reconnue par Angela Davis comme sa sœur. Elle a reconnu une similitude de conditions d’autant que nous avons eu une année difficile, il faut le dire, avec ce qui s’est passé à Ferguson, à Baltimore.

Houria Bouteldja estime que la question politique transcende le territoire national français.

Dans ce contexte tendu de discrimination, d’islamophobie, comment vivez-vous votre appartenance nationale à la France ?

Je ne sais pas si je dois répondre d’un point de vue subjectif car au final ce que je pense à titre personnel de ce sujet n’a que peu d’importance. Ce qui compte pour moi est plutôt de savoir : est-ce que la France me considère comme Française ? A la question : aimez-vous la France, je répond est-ce que la France nous aime ? Nous parlons et maîtrisons les codes et les références françaises. Nous sommes Français au sens sociologique du terme. Que faire de plus pour prouver que nous le sommes ? La question ne dépend donc pas de moi mais d’un projet politique qui pourrait être le nôtre et qui pourra nous faire advenir comme des citoyens ou des humains. Devenons les citoyens d’une société juste, française ou pas française, d’un territoire qui cesse d’opprimer les peuples du Sud. Voilà notre objectif politique. Ce n’est pas de devenir française qui semble dans cette perspective un objectif plutôt médiocre.

http://www.zamanfrance.fr/article/houria-bouteldja-laffirmation-notre-dignite-signifie-que-nous-restons-debout-18281.html

 


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