Marche de la Dignité et le Bingo de l’entitlement français.

 

 

 

Je m’étais dit que j’allais faire un petit compte rendu de la Marche de la Dignité de Samedi dernier, mais comme vous le savez déjà, je ne résiste jamais longtemps à décortiquer point par point « l’antiracisme français qui sait mieux que nous ».

Tout à commencer avec un ami qui m’a envoyé la réponse de Kery James. Réponse à quoi ? A la diatribe nauséabonde d’un autre philosophe bien connu, Raphaël E., qui s’est senti obligé d’expliquer comment la lutte antiraciste devrait s’exprimer, comment Kery devrait s’intégrer (qui est guadeloupéen), comment il encourage le racisme en s’exprimant, et comment il devrait choisir entre Malcolm X et Mandela (ça, c’est mon préféré) etc, etc.

La vérité, c’est que Raphaël E. s’inscrit dans une tradition de l’entitlement français et que ce même entitlement s’est pris une énorme gifle en voyant le succès de la Marche de la Dignité. Et c’est donc dans une démarche pédagogique et dans l’amour de mon prochain républicain (haha) que nous verrons comment la France a répondu à la Marche de la Dignité; et la profondeur de son seum.

Pour ceux qui dormaient sous un rocher les six dernières semaines, la Marche de la Dignité est une marche organisée par le MAFED, un collectif de femmes non-blanches, contre le racisme d’état et les violences policières, qui s’inscrit dans une lutte décoloniale (en gros). Ce fut l’occasion d’affirmer l’autonomie des personnes concernées par la xénophobie et les différents racismes, mais aussi les différentes oppressions auxquelles les femmes racisées font face.

Ainsi, ce samedi 31 Octobre, à 14h00, près de 20 000 se sont réunis à Barbès pour cette marche. J’ai, personnellement, marché avec le collectif afroféministe MWASI, cortège qui était derrière « Mamans toutes égales » et c’était très fort de voir autant de femmes non-blanches dans la rue affirmer leur autonomie, leur indépendance et surtout leur refus d’être l’objet d’un paternalisme systématique quand il s’agit de faire parler, notamment, des femmes musulmanes voilées. Il y avait bien sûr l’affirmation de la dimension intersectionnelle des oppressions puisque plus les femmes cumulent, plus elles sont « minorées », plus elles sont soumises à des violences systémiques.

Ainsi, petit florilège des slogans qu’on pouvait entendre dans le collectif MWASI et au cours de la manifestation :

  • « Je ne suis pas raciste, j’ai un ami blanc ».
  • « Rendez-nous l’argent de la banane/des champs de cannes/de l’esclavage ».
  • « Pas de justice, pas de paix ».
  • « Police partout, justice nulle part ».
  • « Non au Charlisme d’Etat »
  • « Solidarité avec les femmes du monde entier »
  • etc, etc.

La manifestation s’est déroulée sans encombre, à l’exception de quelques trolls (des hommes blancs qui provoquaient le cortège avec un panneau All lives matter, par exemple, ou qui s’incrustaient dans des groupes de femmes racisées non mixtes).

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Vous pouvez en savoir plus sur la manifestation sur le site de la Marche de la Dignité, leur page facebook et Twitter.

I. Pourquoi la Marche de la Dignité dérange ?

Sihame Assbague décrit avec brio pourquoi la Marche de la Dignité dérange et suscite autant de mauvaise foi que d’insultes sur les réseaux sociaux. Je vous invite à lire les 6 raisons principales ici.

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II. L’entitlement et le confort du white guilt.

L’entitlement – le fait de s’attitrer, si l’on veut – est cette capacité d’un dominant à  estimer que son argument est un argument d’autorité dans ce qui ne le concerne pas – c’est un peu l’histoire de l’antiracisme institutionnel qui sait mieux que nous ce dont nous avons besoin, parce qu’il « sait », m’voyez.

C’est donc dans un besoin irrépressible de dire « moi, je sais », que Raphaël Enthoven a voulu nous faire un commentaire littéraire des textes de Kery James pour finir par lui dire de s’intégrer. Et comme l’entitlement est trop fort en France – bah oui, quand tu te forges cette idée que l’antiracisme ne peut se passer de la grille de lectures des personnes blanches (qui plus est homme, aisé, etc), ce n’est pas comme si tu pouvais te remettre en question – il devait y avoir une seconde couche.

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Ainsi, toujours dans le dialogue et l’amour de mon prochain républicain, je m’en vais donc voir la réponse de la réponse de la réponse de Raphie, armé de ma feuille de bingo spécial « Entitlement ».

La réponse complète est disponible ici.

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L’affaire de Zyed et Bouna comme n’étant pas le résultat d’un racisme d’Etat, je coche allègrement la case « Les violences policières n’existent qu’aux Etats-Unis ». Si au moins il s’était vraiment intéressé à la Marche de la Dignité, il aurait vu les différentes interventions de quatre familles de victimes des violences policières, et qui depuis des années s’enlisent dans les procédures lentes du système judiciaire français… quand ça ne prononce pas des non lieu à la pelle, évidemment. Mais ça, ça suppose d’aller voir au-delà de trois chansons…

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On arrive donc à la case « Le racisme, cette affaire qui ne concerne uniquement le FN, rien que le FN, pas plus que le FN« , comme si le racisme ne dépassait pas la porte du siège de ce parti. Le privilège des non-concernés, c’est s’imaginer que la France est un vaste pays d’amour et d’eau fraîche où le racisme serait un petit incident isolé, avec des individus isolés, « l’affaire des cons » en somme. C’est bien plus confortable comme vision, plutôt que de traiter le racisme d’état pour ce qu’il est : une violence systémique.

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Où est mon crayon ? Ah, voilà. Donc on en était à la case »Martin Luther King/Mandela/le Gentil-Noir-Là lui, au moins, il était gentil avec les Blancs ». Tant qu’à vouloir expliquer l’impact du racisme en France sans être concerné, autant pousser le vice jusqu’à citer le premier noir lissé par l’Histoire pour faire taire toutes les communautés ayant défilé ce samedi dernier. Facile ! On omettra évidemment de préciser que Mandela était considéré comme un terroriste par la France, de parler de l’état de sa politique de réconciliation aujourd’hui en Afrique de Sud, ni de la manière dont MLK a fini sa vie. Ca fait tâche, m’voyez.

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Ah ! ca y est ! On a atteint la case « Racisme Anti-Blanc ». Je crois que j’ai presque fini ma grille. Ajoutons également que les grands principes Koumbaya où il a évidemment un droit de citer sur ce que ressentent les populations discriminées aujourd’hui, est un petit bonus.

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La case « C’est le passé, il faut passer à autre chose » arrive. A la différence que les Allemands et les Hutus ne sont pas dans un déni profond, là où la France continue de prétendre qu’elle n’est pas vraiment concernée par l’esclavage, et qu’elle est incapable de traiter sérieusement des réparations à l’égard des Caraïbes (oui, parce que la réparation morale, ça ne va pas aider à Haïti, ni les Antilles, merci).

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Je reviendrai juste sur « l’aune d’un passé colonial » alors que les tours Total trônent toujours dans quelques spots en  Afrique et que le Franc CFA est encore une monnaie courante, gérée par la Banque de France. Je pose çà et là.

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La case « Vous exagérez, l’oppression ça a quand même du bon« . Je crois que c’est un classique. Et c’était toujours plus facile de crier à la simplification, quand il n’y a aucune remise en question de l’oppresseur. M’enfin bon.
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La case « Vous ne savez pas vraiment ce que vous dites, c’est l’émotion« , comme si une personne concernée par le racisme était incapable de fournir une analyse de sa situation. On appelle ça de la silenciation et du mépris, en bon français. Une personne en connaîtrait donc moins sur l’oppression qu’elle vit, qu’un philosophe qui ne l’a jamais vécu. Intéressant.

 

Il y a tellement de choses à dire. Politique de respectabilité, paternalisme sous couvert d’un humanisme pédant, et jamais un état des lieux sérieux de ce que cela a apporté aux communautés discriminées, encore aujourd’hui. Ces discours, ces faux chiffres, ces titres approximatifs ne semblent pas vouloir voir ce qui se joue actuellement en France, mais plutôt se pétrir dans cette conviction qu’ils ont un mot à dire dessus. Hors, l’antiracisme n’est pas un exercice de style, n’en déplaise à certains.

Et pourquoi cet acharnement et tant de mépris si cette Marche est si « insignifiante »?

Le vent tourne. En ce sens, la Marche de la Dignité montre qu’elle n’est que le début d’un antiracisme par nous, pour nous et avec nous.

Bon. Ma grille de bingo est complète.

Crédits Photo : Alma G. Heist

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