Arrêtez d’utiliser l’antisémitisme et les juif.ve.s, merci.

Article écrit d’une traite suite à la marche de la dignité et à des discussions ayant lieu à ce sujet, où je me trouve, en tant que juive qui parle d’antisémitisme, prise à parti de tous côtés.


Avant la marche

Voici l’appel de la marche de la dignité, dans lequel sont nommées trois formes de racisme en France : « islamophobie, négrophobie, rromophobie », qui seraient les racismes les plus structurels. Le choix sera donc fait d’axer la marche sur les violences policières, particulièrement emblématiques de la violence d’État envers les maghrébin.e.s, les afro-descendant.e.s, les rroms, comme l’explique Houria Bouteldja dans cette interview.

Et là, je me sens déjà un peu le cul entre deux chaises. Moi, avec ma gueule de cachet d’aspirine, la police ne m’a jamais contrôlée. Mon avis importe donc peu à ce sujet, mais je soutiens à 100% tout ce qui dénonce le harcèlement policier raciste (qui vise également les asiatiques ou identifié.e.s asiatiques, oublié.e.s de cet appel). Je vais volontiers soutenir une marche contre l’islamophobie. Mais là, il s’agit de quelque chose qui se veut plus général. Il s’agit de réagir à l’ensemble des racismes en France. Or, je n’ai plus très envie d’aller à une marche contre « tous les racismes d’État » (sous-entendu : les vrais racismes) en tant qu’alliée. Étant plutôt dans une démarche de dénonciation de l’antisémitisme que nous, juives et juifs, subissons, j’aimerais voir la lutte contre l’antisémitisme intégrée aux autres. C’est une marche dont on a dit qu’elle allait donner un nouvel élan unificateur aux luttes antiracistes et je rejoins l’analyse de JJR sur l’absence totale de mention de l’antisémitisme. Certes, l’État n’entretient plus l’antisémitisme comme il l’a fait dans un passé pas si lointain; mais d’une part, il le fait tout de même, de manière plus subtile, d’autre part, ce n’est pas parce que l’État semble combattre une oppression que celle-ci en perd son caractère structurel. Comme l’article de JJR l’explique, une analyse des différentes formes de racisme en France ne peut pas écarter l’antisémitisme sans être lacunaire.

Bref, qu’il y existe des unions entre certaines luttes particulièrement, du fait, par exemple, que les arabes, les rroms et les afro-descendant.e.s ont un combat commun, ne me semble pas insensé du tout — au contraire. Le racisme recouvre une diversité de réalités différentes et il faut pouvoir parler des spécificités de l’islamophobie, de la négrophobie, de l’antisémitisme, et de toutes les formes de racismes (ce qui n’inclut pas le « racisme anti-blancs », merci !). Ça peut vouloir dire qu’on va se focaliser parfois sur ce qui touche surtout les noir.e.s et les arabes, et pas spécifiquement les juif.ve.s blanc.he.s… tant qu’il n’est pas dit que ce sont les seules formes de racisme, ou les seules à être structurelles dans notre société, s’il est clairement assumé que ça n’est pas exhaustif, ça ne me pose pas de problème.

Alors, ça a gêné, comme marche. On a vu fleurir des textes dénonçant la « racialisation du paysage antiraciste français », comme celui-là, détaillant à quel point il serait malvenu de parler de race (ou alors avec vraiment beaucoup beaucoup de guillemets, visiblement). J’ai vraiment essayé de comprendre s’il y avait quelque chose qui m’avait échappé dans toute cette analyse de la « racialisation », mais non, vraiment, c’est toujours la même rengaine refusant de voir que la France est un pays raciste et qu’à ce titre, il y a en France des blancs (sans guillemet) et des racisé.e.s (toujours sans guillemet). Racisé.e.s parmi lesquel.le.s tou.te.s ne se font pas renvoyer aux mêmes violences, aux mêmes préjugés, aux mêmes difficultés, et qu’à ce titre, il y a même des noir.e.s, des arabes, des juif.ve.s, des rroms, des – identifié.e.s – asiatiques, des métis.ses. Racialisatioooooon, ou une énième manière d’empêcher de mener une analyse approfondie des différentes formes de racisme et de continuer à se rouler dans son privilège blanc. Heu, pardon, « « privilège » « blanc »  » !


Après la marche ah pardon, on m’informe que c’est toujours AVANT la marche

Une journaliste, bien inspirée, tweete qu’une marche antisémite a eu lieu. Problème : c’est avant la marche.

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Autrement dit, nous, les juif.ve.s, sommes utilisé.e.s pour des motifs racistes visant à défendre le pouvoir en place… dégueulasse envers les autres racisé.e.s, mais aussi envers nous.


Après la marche, pour de vrai, cette fois

Les détracteurices de la marche qui ont sagement attendu que la flèche du temps atteigne le jour J ont continué à parler d’antisémitisme, d’une façon qui se rapproche davantage du réflexe que de la réflexion…

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Sachez donc, chères personnes qui empêchez les musulman.e.s de parler d’islamophobie au nom de la défense des juif.ve.s, que je vous emmerde de tout mon coeur.

Un tel usage de l’antisémitisme est à combattre mais cela ne signifie pas que l’antisémitisme n’existe pas pour de vrai. Les milieux antiracistes où je traîne ont une fâcheuse tendance à l’oublier. Par exemple, voici un article antiraciste sur la marche que je trouve super à plein d’aspects, mais les trois fois où il cite « antisémitisme » c’est en tant qu’attaque injustifiée. À sa lecture, on a l’impression que parler d’antisémitisme ne peut être que du troll raciste. La seule fois où il parle des juifs, c’est pour dire qu’il y en avait à la marche et que donc celle-ci ne saurait être antisémite… c’est plus compliqué que cela, malheureusement.

Il y a des problèmes d’antisémitisme dans toutes les couches de la société française, y compris à l’extrême-gauche, et y compris dans les milieux antiracistes. Je ne suis pas la plus grande fan du PIR et de son philosémitisme d’État. Je regrette l’absence de mention de l’antisémitisme dans l’appel. J’ai été à la marche, et assisté à des marques d’antisémitisme. Mais je trouve insupportable qu’il soit impossible d’en parler sans se faire récupérer par des journalistes et personnalités racistes. L’antisémitisme existe, pas plus chez les antiracistes qu’ailleurs; et si tout ce que vous êtes capables de dire sur la marche, c’est racialisation-antisémitisme… vous n’êtes pas mes allié.e.s, alors arrêtez de parler en mon nom. Il me paraît très ardu de parler d’antisémitisme au sein des milieux antiracistes également. On veut bien mettre en avant qu’il y avait des juif.ve.s à la marche pour se défendre face à des accusations d’antisémitisme, mais écouter et prendre en compte ce qu’iels ont à dire, c’est une autre histoire, apparemment. On me dit qu’il y en a marre de ce débat. Qu’il y en ait marre des fausses accusations d’antisémitisme, je suis parfaitement d’accord. Mais je suis juive et désolée, je vais continuer à ramener ce « débat » sur la table. Je n’ai pas envie de juste servir de caution juive, de me désolidariser cent cinquante fois d’Israël et de la LDJ et de me la fermer sur le reste. Le demander aux juif.ve.s, ce qui est en pratique couramment fait dans les milieux d’extrême-gauche antiracistes, c’est antisémite.

marche4Comment dire…

Entre des gens qui seraient bien incapables de fournir une analyse de l’antisémitisme mais qui sont prompts à en voir partout, surtout chez les arabes et les soutiens aux Palestinien.ne.s, en nous utilisant contre elleux, et des antiracistes qui profitent de notre présence pour se dédouaner sans avoir la moindre intention de prêter une réelle attention à l’antisémitisme, la parole juive antiraciste est complètement volée de part et d’autre, et  au final silenciée.


Merci à Émy pour sa relecture.

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