Cette semaine, c’était « l’anniversaire » des dix ans des révoltes urbaines. En 2005, les émeutiers mettaient en cause l’attitude des forces de l’ordre. Les problèmes entre banlieues et police n’ont pas été résolus.
Samedi, la Marche de la dignité, organisée pour dénoncer le racisme et les violences policières, a clos une semaine de commémoration des dix ans des émeutes de 2005. La page Facebook de l’événement a pas mal fait cliquer, le hashtag a bien fonctionné sur Twitter et sur le terrain, les organisateurs ont annoncé plus de 10 000 participants (3 500 selon la police).
« L’anniversaire » – drôle de terminologie – des révoltes urbaines a vu s’opposer ces jours-ci les tenants du « rien n’a changé en banlieue » à ceux qui pensent tout le contraire. Néanmoins, il y a un diagnostic qui fait à peu près l’unanimité : le problème banlieues/police n’a toujours pas été résolu.
Dans L’Express, le sociologue Laurent Mucchielli résume très bien la situation :
« Il n’y a pas de police au quotidien, mais une police d’intervention, qui débarque en force quand elle est appelée et repart aussitôt après.
L’image des forces de l’ordre dans les quartiers n’est pas bonne, mais cela ne signifie pas pour autant que les habitants n’en veulent pas. C’est cette police-là qu’ils rejettent. »
Le ministère de l’Intérieur ne parle plus
Dix ans après les émeutes, le ministère de l’Intérieur a recalé nos confrères du Monde, qui souhaitaient, entre autres, recueillir des témoignages de policiers de l’époque. Le quotidien raconte ce refus :
« Un double mouvement perceptible depuis quelques mois Place Beauvau : un rejet total de tous les thèmes s’approchant de près ou de loin au registre des rapports police-population, notamment dans les quartiers sensibles, et un verrouillage de la communication sur le modèle de la citadelle assiégée. »
En banlieues – mais pas que, soyons clairs –, il y a les violences policières qui peuvent se solder par un décès (et pour lesquelles la police n’est quasiment jamais inquiétée par la justice) et plus régulièrement, des contrôles abusifs. Au faciès. Dans les deux cas, un alarmant déficit de transparence, du fait notamment du désert en matière de statistiques. Alors, d’aucuns voient tout cela de manière abstraite. Une façon pour certains jeunes banlieusards de se victimiser et de s’enfermer dans une posture de cible finalement très arrangeante.
Je me souviens d’une discussion sur le sujet avec un confrère d’un grand quotidien. Lui trouve légitime qu’une catégorie de la population qui squatte les halls et vit dans des zones sensibles se fasse plus chatouiller que les autres. Il n’y a évidemment pas que des anges dans les quartiers populaires, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça.
Les cow-boys et leur ceinturon
Je suis banlieusard et d’origine maghrébine. Pas vraiment squatteur de halls dans ma prime jeunesse et ex-habitant d’une cité HLM qui n’a rien d’un ghetto ou d’un coupe-gorge. A 30 ans passés, comme d’autres voisins de la même génération, je ne compte plus les contrôles d’identité totalement injustifiés que j’ai subis.
Se faire alpaguer, comme ça, un sandwich à la main ou assis sur un rondin de bois. Il y a les contrôles qui se passent en silence. Rapidement et poliment, effectués par des agents de police formellement très respectueux.
Et il y a ceux qui ont des relents insupportables. Attitudes déplacées des gardiens de la paix, dont certains se prennent pour des cow-boys. Nerveux, provocateurs, menaçants quand ils mettent la main au ceinturon à peine sortis de leur véhicule. Provocations inutiles, insultes et de temps en temps, allusions « voilées » sur mes origines, ma couleur de peau ou ma carte d’identité française.
Devoir s’allonger par terre, sans un mot
C’est humiliant de se faire tâter les couilles sans raison, devant ses voisins ou sa famille, en bas de chez soi, des courses à la main. De devoir s’allonger sur le sol, sans explication. On se sent différent. On enrage, on s’interroge. C’est ça, le contrôle au faciès, harcèlement arbitraire qui profite d’un énorme flou juridique en matière de contrôle policier tout court.
Qui à défaut d’apporter des résultats probants en termes de sécurité, participe largement à éroder le respect entre jeunes des quartiers et forces de l’ordre.
En 2009, une étude du CNRS démontrait qu’en tant « qu’Arabe », j’avais 7,8 chances de plus de me faire contrôler « qu’un Blanc » [PDF]. Je n’ai jamais cru que la France était un pays raciste, mais il y a quand même un énorme problème, que les débats stériles sur l’identité – qui ethnicisent désormais la question des banlieues – contribuent largement à aggraver.
« Restez et filmez »
Une militante, samedi à la manifestation (je n’y étais pas), interrogée par le Bondy blog :
« S’il vous plaît, quand vous voyez une interpellation, restez là et filmez. Ne vous laissez pas faire. »
La vidéo comme contrepoids à l’opacité et comme moyen d’amorcer des débats publics. YouTube est ainsi devenu un réservoir de séquences intitulées, à tort ou à raison, « bavure », comme celle tournée à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) il y a quelques jours.
https://youtu.be/Ol233h6ENAM
Durant l’interpellation de deux dealers présumés, un homme menotté se fait frapper par un policier, tandis qu’un autre tire avec son flashball sur un riverain. A contextualiser et à analyser, évidemment. En attendant de tirer les choses au clair, la police des polices a été saisie.
Dans les procédures judiciaires, l’image est de plus en plus utilisée. Elle a récemment permis de faire condamner un gardien de la paix à Bobigny qui avait tiré au flashball sur un lycée et menti dans son procès-verbal. Christophe Pouly, avocat au barreau de Paris, nous disait cet été à propos de la plus-value des vidéos :
« Si on se contentait de le dire, on ne le croirait pas. »
Des images, aussi pour les policiers
Les images comme moyen de disculper les flics intègres aussi, qui souffrent forcément d’être assimilés à des collègues déviants et beaucoup trop zélés. Précision sur mon témoignage : pour en avoir aussi croisés, il y a de bons gardiens de la paix en banlieue.
D’ailleurs, le sociologue suisse, Michaël Meyer, me l’a rappelé cet été : s’il y a des policiers qui voient la vidéo comme une pression de plus dans un climat compliqué – sous-effectifs entres autres –, certains au contraire, y sont très favorables.
Lundi, Manuel Valls a visité un quartier populaire des Mureaux. Déroulé sa com’. La banlieue attendait la gauche sur le thème de la police. Plus de transparence pour les contrôles d’identité, comme l’avait promis François Hollande avec la mise en place de récépissés. Le gouvernement a très vite laissé tomber.
Le Premier Ministre a annoncé que l’expérimentation des caméras sur des policiers allait s’étendre. Des militants dénoncent les limites : c’est le gardien de la paix qui décide ou non de l’actionner, alors qu’ils voudraient que ça soit systématique. Un syndicat de police quant à lui réclame « un cadre juridique ».
Et Zyed et Bouna ?
Michaël Meyer :
« Ce n’est plus la police qui maîtrise l’image, mais les citoyens. La question qui se pose à chaque fois est “comment faire ?” pour réagir à leur diffusion. »
Cette année, la justice française avait condamné l’Etat pour treize contrôles au faciès. Historique. Celui-ci s’est pourvu en cassation. Un témoin des émeutes de 2005, que France Inter a rencontré cette semaine, m’a dit que « fêter les dix ans des révoltes » relevait de la connerie. Les mots, les noms de rue, les manifestations ; à quoi ça sert ? Ça fait artificiel.
Que si l’on avait vraiment voulu rendre hommage à Zyed et Bouna, il aurait fallu que les policiers incriminés soient punis :
« C’est pour ça que rien n’a changé. »
http://rue89.nouvelobs.com/2015/11/01/banlieues-nest-plus-police-maitrise-limage-261911