L’acte (re)fondateur de la marche de la dignité?

Après plus de quatre heures de marche depuis Barbés, elles arrivent enfin à la place de la Bastille avec « No woman, no cry » de Bob Marley. Les organisatrices du collectif « la marche des femmes pour la dignité » (Mafed) ne pleurent pourtant pas. Elles affichent de grands sourires. Les mines fatiguées mais fières. Elles ont réussi leur pari: la marche de la dignité et contre le racisme, samedi dernier, a réuni au moins 10 000 personnes dans les rues de Paris (la Mafed en annonce 20 000, la police 3500).  « On a tout déchiré« , lance fièrement au micro Sihame Assbague, porte-parole de Stop au contrôle au faciès et l’une des responsables de la Mafed, qui rend hommage à ces « femmes qui subissent le racisme et qui ont organisé cette marche en toute autonomie, indépendance, sans moyen [et] avec leur énergie« . La marche a été organisée en mémoire des dix ans des émeutes de 2005 et de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.

En tête de cortège, on retrouve les femmes de la Mafed comme Hanane Karimi (Collectif les Femmes dans la mosquée), l’historienne Françoise Vergès, Amal Bentounsi (Urgence notre police assassine) ou encore Houria Bouteldja (Parti des Indigènes de la République ; la marche a été officiellement annoncée lors de leur dixième anniversaire en mai dernier). Derrière, il y a près d’une centaine de mouvements antiracistes, majoritairement issus des quartiers populaires, qui ont collaboré à l’organisation ou soutenu la marche (la liste complète est ici). Dans un mouvement hétéroclite, ils ont dénoncé le « racisme d’Etat », les violences policières, les illégalités dans les quartiers populaires, l’islamophobie, la négrophobie, la romophobie, le sexisme, l’homophobie ou la politique israélienne pendant que d’autres ont affiché leur soutien aux travailleurs immigrés en situation (ir)régulière, aux réfugiés, à la Palestine, etc.

A l’image des différentes organisations, la marche a réuni majoritairement des jeunes, des Noirs, des Arabes, des femmes voilées ou non, issus des quartiers, mais aussi des blancs, des sans-papiers africains, des réfugiés afghans ou syriens. La majorité des marcheurs sont issus de cercles militants. « C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’habitants des quartiers populaires de banlieue« , regrette une manifestante âgée d’une cinquantaine d’années. Elle est venue en particulier en soutien pour la lutte palestinienne. « Mais je marche pour la dignité et contre toutes les injustices« , rajoute-t-elle.

Près d'une centaine d'organisations ont participé à la marche de samedi. Ici un collectif de réfugiés.
Près d’une centaine d’organisations ont participé à la marche de samedi. Ici un collectif de réfugiés.

Alerté via les réseaux sociaux, Yan (son nom a été changé) est venu avec un ami. Il a été confronté à un « racisme institutionnel » parce que « noir« . « En France, j’ai vu une société plurielle mais très compartimentée, note  ce consultant étranger de 29 ans qui a fait ses études en France. Mais en même temps, la lutte antiraciste est elle-même très fragmentée. » Il trouve intéressant d’assister à une convergence des combats lors cette manifestation.

« Le point commun de toutes ces luttes est la dénonciation de tout ce système capitaliste, à l’origine de l’exploitation, de la stigmatisation, des illégalités, explique Nabil, militant de 22 ans auprès de réfugiés à Paris. Il n’y a pas de différence entre les luttes pour le féminisme, pour la Palestine, pour les droits des migrants, contre l’antisémitisme mais elles restent toujours fragmentées. »

En effet, si les différentes organisations ont manifesté ensemble, pourront-elles faire converger leurs luttes? Accompagnant quelques militants antifascistes, réunit derrière la banderole « de Zyed à Rémi[Fraisse; militant tué à Sivens en 2014], désarmons la police », un anarcho-syndicaliste confie: « Avec la Mafed, on est d’accord sur certaines choses, d’autres non. Mais ce n’est pas en restant loin et en critiquant que l’on fait avancer les choses. » Et pour la suite? « Il se passera peut-être quelque chose, peut-être rien. On verra. »

Farid el-Yamni, accompagné de son père et sa famille, raconte la mort de frère de Wissam suite à une interpellation policière en 2012 à Clermont-Ferrand
Farid el-Yamni, accompagné de son père et ses proches, revient sur la mort de son frère Wissam suite à une interpellation policière en 2012 à Clermont-Ferrand

Les partis politiques de gauche (Front de Gauche, Parti de Gauche, NPA, les écologiste d’EELV, Ensemble, le Mouvement des Jeunes Communistes notamment), qui ont rassemblés peu de militants, se sont trouvés en fin de cortège. Mises à part quelques élus, le Parti socialiste (PS) était absent. De toute façon, il n’était clairement pas le bienvenu. « Le Parti socialiste, on n’oublie pas, on pardonne pas« , ont clamé les militants de la Mafed en référence à la déception suite à leur récupération politique de la marche de 1983. Les mêmes slogans ont été scandés contre SOS Racisme, ses fondateurs Julien Dray et Harlem Désir, ou encore son ancien président Malek Boutih. D’autres figures ou organisations ont aussi été conspué comme l’association Ni putes, ni soumises et sa présidente Fadela Amara, Rama Yade, Dalil Boubakeur, la Licra ou le Mrap. Mais aussi des figures politiques comme Manuel Valls, Nadine Morano, la famille Le Pen ou des intellectuelles comme Alain Finkielkraut, Bernard Henri-Lévy ou Michel Onfray.

Dans une tribune publiée dans Libération la semaine dernière, les femmes de la Mafed ont écrit que « l’heure de nous-mêmes a sonné » en reprenant les mots d’Aimé Césaire. Et c’est exactement le sens renvoyée par la marche. « C’est une déclaration d’indépendance, assure Sihame Assbague. Rien n’a changé pour les descendants de l’immigration post-coloniale et dans les quartiers« . Elle a appelé à se « réapproprier les luttes« passées en faisant référence notamment à la la marche contre le racisme de 1983 et à la révolte des banlieues en 2005.

Et après, que va-t-il se passer? Sur la scène de la place de la Bastille, tous les intervenants ont appelé à l’union des forces. « Tous ensemble, on aura toujours plus de force« , a exprimé par exemple Nargesse Bibimoune, romancière et militante voilée de la région lyonnaise. Il leur restera à confirmer cette marche qui marque, sans doute, un tournant dans la lutte antiraciste. Avant de laisser la place aux artistes, qui ont clôturé la manifestation, Sihame Assbague a demandé à la foule encore présente à Bastille: « Vous êtes nombreux aujourd’hui. Malheureusement vous l’êtes moins dans les associations… Engagez-vous!«

http://secteur93.fr/lacte-fondateur-de-la-marche-de-la-dignite/

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